La force de la coutume, Montaigne - Extraits et questions
Montaigne montre admirablement la confusion entre la nature et de l'habitude, par laquelle nous appelons "naturelles" des habitudes acquises. Par exemple, il serait naturel de se brosser les dents. Cette remarque est d'une grande portée, car elle montre que la voix de la nature est brouillée, déformée. Celle-ci n'est pas pure, mais mêlée, l'inné est inséparable de l'acquis, et la force de la nature, ce fameux "naturel qui revient au galop", n'est peut-être que le mauvais pli d'une première éducation.
Extrait :
Les loix de la conscience, que nous disons naistre de nature, naissent de la coustume : chacun ayant en veneration interne les opinions et moeurs approuvées et receues autour de luy, ne s'en peut desprendre sans remors, ny s'y appliquer sans applaudissement. Quand ceux de Crete vouloyent au temps passé maudire quelqu'un, ils prioyent les dieux de l'engager en quelque mauvaise coustume. Mais le principal effect de sa puissance, c'est de nous saisir et empieter de telle sorte, qu'à peine soit-il en nous de nous r'avoir de sa prinse et de r'entrer en nous, pour discourir et raisonner de ses ordonnances. De vray, parce que nous les humons avec le laict de nostre naissance, et que le visage du monde se presente en cet estat à nostre premiere veue, il semble que nous soyons nais à la condition de suyvre ce train.
Michel DE MONTAIGNE, Essais, livre I, chap. XXIII, La Pléiade, 1962, p. 114.
Une version modernisée de cet extrait des Essais :
Les lois de la conscience, dont nous disons qu’elles naissent naturellement, naissent de la coutume : chacun ayant en intime vénération les opinions et les mœurs approuvées et admises autour de lui ne peut s’en détacher sans remords ni s’y appliquer sans contentement. Quand les Crétois, au temps passé, voulaient maudire quelqu’un, ils priaient les dieux de l’engager dans quelque mauvaise habitude. Mais le principal effet de la puissance de la "coutume", c’est de nous saisir et de nous prendre par ses serres de telle sorte qu’il nous soit difficilement possible de nous dégager de sa prise et de rentrer en nous pour réfléchir et soumettre ses prescriptions au raisonnement.
Michel de MONTAIGNE, Essais, éd. A. Lanly, Gallimard, Paris, 1989, p. 142.
Questions :
1. Dans cet extrait, Montaigne développe un argument anti-stoïcien d'une grande force et d'une grande finesse. Identifiez-le.
2. Pourquoi "les loix de la conscience, que nous disons naistre de nature, naissent de la coustume"?
3. Expliquez l'exemple des Crétois.
4. Quelle est la principale puissance de la coutume ?
5. Pourquoi "nous prend-elle par ses serres" ?
6. Qu'est-ce qui peut être qualifié naturel ?
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